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d’oublier la mésaventure, répliqua Thierray sur le même ton ; mais je crains que l’aînée ne soit en train de perdre ses dents de sagesse.

Comme il disait ces mots, l’aînée parut à l’entrée d’une belle galerie qui formait vestibule au château, comme dans plusieurs manoirs de la renaissance. Celle-là, en vérité, avait bien les vingt ans annoncés, mais pas davantage. Elle était belle aussi, plus belle même que sa sœur, brune, svelte, et d’un teint plus reposé ; mais je ne sais quoi de grave et de compassé la rendait moins agréable dès le premier abord. Elle ne montra aucune surprise, ne poussa aucune exclamation en voyant son père, l’embrassa avec plus de déférence que d’élan, et prononça ces mots, qui furent le dernier coup de massue pour Thierray, bien qu’il ne comprît pas l’espèce d’affectation avec laquelle ils étaient articulés :

— Ma mère va être bien contente !

— La mère d’une fille qui est peut-être majeure ! pensa-t-il. Allons, je me moquerai si bien de moi-même, que Flavien n’aura pas assez d’esprit pour renchérir sur la mystification que je subis.

— J’ai entendu les grelots de la poste, disait tranquillement Nathalie, l’aînée des demoiselles Dutertre, à son père, en traversant avec lui et ses hôtes les vastes et riches appartements du rez-de-chaussée. J’ai deviné que vous veniez nous surprendre.

— Et moi, disait Éveline, du haut de la montagne, j’ai vu arriver la voiture. J’ai fait la descente au galop afin d’arriver aussitôt que mon père.

— Est-ce pour m’embrasser plus tôt ou pour tenir un pari avec Amédée, que tu as risqué de te casser le cou ? dit le père avec un mélange de raillerie, de tendresse et de mécontentement.