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mains, circonstance qui vous prouve que Flavien ne compte pas se vanter, Flavien n’a absolument rien à se reprocher contre elle ni contre vous. Il s’accuse, il se blâme, il se repent même d’un moment de folie, et, tout en bravant votre ressentiment, comme son naturel bouillant l’y entraîne, il a la mort dans l’âme d’avoir à se battre avec un homme qu’il révère, pour le tort qu’il n’a pas fait à une femme qu’il respecte. Voyons, ami ! ami et père que vous êtes ! ne vous souvenez-vous plus des expressions dont il se servait à propos de vous dans cette malheureuse lettre ? Ne voyez-vous pas le désespoir avec lequel il vous présente sa poitrine ? Vous allez tirer le premier, vous, l’offensé. Je vous jure qu’il tirera en l’air, et que vous serez forcé de l’insulter indignement pour l’amener à faire autrement à la seconde épreuve.

— Vous avez dit que j’avais deux motifs pour m’abstenir de ce duel, dit Dutertre légèrement ébranlé, quel est donc le second ? A-t-il pu emmener ma femme à Mont-Revêche pour un motif plausible ? Il n’en est pas que je puisse admettre, eussiez-vous été vous-même en danger de mort. Ma femme est-elle un médecin ? en a-t-elle la science et les devoirs ? Ceci est un jeu cruel, que vous devriez m’épargner, Thierray.

— Ce n’est point un jeu cruel, c’est un aveu terrible à vous faire, dit Thierray s’armant de courage. Votre femme était le seul médecin qui pût venir assister et emmener le malade de Mont-Revêche, car ce malade, ce blessé, c’était Éveline.

— Éveline ! s’écria Dutertre en prenant son front dans ses mains. Mon Dieu ! est-ce que c’est Éveline que vous dites ? Est-ce que je suis fou aujourd’hui ?

— J’ai dit Éveline, reprit Thierray, que l’épouvante et la douleur du père de famille frappèrent d’un tel respect,