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l’un ni l’autre ; car, si vous n’avez pas eu peur, vous avouez du moins que vous avez cru voir un revenant. C’est d’autant plus brave de votre part. Ne vous en défendez donc pas ; car cela vous élève beaucoup dans mon estime.

— J’en suis très-flatté, mademoiselle, mais je ne mérite peut-être pas votre admiration. Il se peut bien que je vous aie reconnue tout de suite. Il se pourrait aussi qu’après avoir causé avec l’habile Crésus dans la matinée, j’eusse pressenti vos projets et attendu votre visite.

Éveline fut un instant confuse, inquiète surtout de la discrétion de son page ; mais elle se remit par la moquerie et la coquetterie, comme elle faisait toujours.

— Je n’en crois rien, répondit-elle. Si vous m’eussiez attendue, j’aime à croire que je n’eusse pas trouvé la porte fermée et que vous eussiez dispensé Forget de veiller pour être prêt à me l’ouvrir.

— Non, mademoiselle, reprit Thierray toujours plus sévère à mesure qu’il se croyait plus provoqué, j’espérais que vous n’auriez pas le cœur de mener à bout une pareille absurdité.

— Moi, monsieur, j’espérais, dit Éveline en se levant avec une dédaigneuse insouciance, que l’aventure tournerait autrement, que vous auriez moins de courage, que je traverserais ce salon sans vous arracher une parole, que je sortirais masquée et inconnue comme j’étais entrée, et qu’un de ces jours vous viendriez nous raconter votre aventure avec un peu d’embellissement, comme les poètes en mettent toujours dans leurs narrations. Au lieu de cela, vous avez été téméraire et moi stupide. Le cri d’un perroquet m’a fait crier, vous avez reconnu ma voix ; vous menaciez de m’ôter mon masque : je ne laisse pas volontiers porter la main sur moi, et j’ai dû paralyser la