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— Non, Jules, répondit spontanément Flavien, qui ne connaissait pas la rancune, et qui, de sa vie, n’avait résisté à une avance : au contraire, j’ai besoin de causer avec la seule personne qui sache ou veuille me comprendre. Causons, si ma mauvaise et sotte humeur ne t’ennuie pas horriblement.

Et ils causèrent : de Léonice d’abord, fille pimpante, audacieuse et spirituelle, que Flavien s’était piqué d’accaparer, qu’il avait perdu quelque temps à mater, c’était son expression, et qui lui échappait au moment où, croyant régner par-dessus tout, il avait été dépossédé brusquement. Il avoua de bonne grâce à Thierray que de lui-même il l’eût peut-être quittée la semaine suivante, mais qu’il était irrité au dernier point d’avoir été prévenu : le tout par amour-propre et rien de plus. Il convint que ce genre d’amour-propre était puéril et qu’il fallait le combattre en soi-même, ou tout au moins le cacher à ses meilleurs amis. Thierray, qui aimait à le conseiller sans en avoir l’air, le fit renoncer à toute idée de vengeance en lui montrant le ridicule qui s’attache aux scandales de ce genre.

Ensuite ils parlèrent de l’amour en général, et, comme il y a mille manières d’aimer, Flavien se trouva forcé d’avouer qu’il avait eu pour Léonice une sorte d’affection grossière, passionnée sans tendresse, jalouse sans estime ; et, quand Thierray l’eut mis ainsi en contradiction avec lui-même, il s’en réjouit intérieurement.

— Tu as le profil plus pur, la barbe plus épaisse, les épaules plus larges que ton humble compagnon d’études, pensait-il ; tu montes à cheval d’une manière plus brillante ; tu as un nom, grand prestige auprès des femmes d’un certain monde ! Tu as plus de noblesse, sinon d’aisance, dans les manières ; tu as des valets que tu sais