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sotte ; nous ne serions pas de gauches provinciales et nous n’attendrions pas après les maris que vous nous choisissez d’avance, et dont aucun peut-être ne nous conviendra, quelque envie que nous ayons de vous complaire. Enfin, si vous n’étiez pas dominé par l’idée qu’on est forcément heureux auprès de cette belle Olympe, vous vous aviseriez, sans que j’aie la douleur de vous le dire, du spleen qui me ronge et qui commence à s’emparer d’Éveline, sous forme de monomanie chassante et chevauchante. Vous voyez, mon père, que mes plaintes sont inutiles, et que je dois subir mon sort sans espoir de le voir changer autrement que par un mariage de désespoir, ce qui me paraît un triste moyen de salut.

— Je ne vous demanderai pas, répondit Dutertre, glacé par la froideur de sa fille, pourquoi votre belle-mère vous est antipathique ; ce serait vous entraîner sur un terrain où je ne veux pas placer la discussion, puisque vous déclarez qu’elle n’est coupable d’aucun tort envers vous. Je vois que votre parti est pris de changer en mécontentement et en amertume une vie de famille que je supposais devoir être douce et riante. Veuillez vous résumer, ma fille, et me dire ce que vous exigeriez pour vous trouver libre et heureuse selon vos goûts.

— Je voudrais commander là où je cède et m’abstiens, pour m’épargner l’odieuse nécessité d’obéir.

— Ma fille, vous n’obéissez à personne, vous ne cédez à rien, vous n’avez à vous abstenir de rien que je sache. Si je me trompe, prouvez-moi que vous êtes esclave là où ma volonté est que vous soyez libre.

— Je suis libre à la condition de respecter un ordre domestique qui n’est pas établi par moi. Il est des natures qui se sentent esclaves du moment qu’elles ne gouvernent pas.