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sur ses épaules, ses yeux étaient gonflés, ses joues enflammées par les larmes ; elle sentait que la cloche du dîner allait sonner, et l’humiliation de paraître abattue et comme vaincue devant Thierray, la crainte qu’il ne devinât ce qui s’était passé l’exaspérait tellement, qu’elle eut presque une attaque de nerfs.

Au bruit de ses sanglots, Nathalie, qui, de la chambre voisine, écoutait cette scène depuis le commencement, entra comme surprise et effrayée, et affecta de prodiguer à sa sœur des soins qui n’étaient pas indispensables, et qui, certes, eussent été moins empressés en toute autre circonstance.

La présence de Nathalie, devant qui elle était doublement humiliée, rendit cependant à Éveline toute sa fierté d’emprunt. Bonne mais irascible, aimante mais déraisonnable, Éveline chercha un appui dans cet inévitable témoin de sa honte enfantine.

— Oui, répondit-elle aux hypocrites questions de la muse de Puy-Verdon, mon père me gronde ; mon père me raille ; il blesse mon amour-propre avec le sang-froid d’une mortelle indifférence. Tu avais raison, Nathalie, notre père ne nous connaît plus, il ne nous aime plus !

— Taisez-vous, malheureuse enfant ! s’écria Dutertre, qui sentit le vertige et vit le bord de l’abîme dans le sourire amer de Nathalie : que Dieu vous pardonne un tel blasphème, si vous n’êtes pas folle !

Nathalie eut, pour envenimer le mal, des airs d’une douceur terrible et des à-propos d’une mortelle conciliation.

— Eh ! non, mon père, dit-elle, ce n’est pas vous que nous accusons ! Éveline accepterait tout de vous seul ! mais, si elle a été mal élevée, si elle n’a pas été élevée du tout, ce n’est pas sa faute. La pauvre enfant est sus-