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de nos sentiments au choix d’un fait plutôt qu’à celui d’un autre. Je ne veux pas que les uns nous crient : « La conclusion est évitée ; » que les autres crient après nous : « La conclusion est criminelle. »

J’ai fait un roman qui s’appelait Leone-Leoni, où le séducteur n’était pas puni. Des gens ont dit : « Voyez quelle immoralité ! l’auteur a voulu prouver que les scélérats sont tous aimés et triomphants. » J’ai fait un roman qui s’appelait Jacques, où l’époux trahi mourait de chagrin. Des gens ont dit : « Voyez quelle insolence ! l’auteur prétend que tous les maris trompés doivent se laisser mourir de chagrin ! » J’ai fait, selon ma fantaisie du moment, au moins vingt dénoûments divers et qui, pour ceux qui y entendaient malice, prouvaient au moins vingt solutions contradictoires. Toutes prouvaient trop selon les uns, aucune ne prouvait assez selon les autres. J’avoue que ceci m’a persuadé de plus en plus que le but, le fait et le propre du roman sont de raconter une histoire dont chacun doit tirer une conclusion à son gré, conforme ou contraire aux sentiments que l’auteur manifeste par son sentiment. L’auteur ne prouvera jamais rien par un exemple matériel du danger ou des avantages manifestes du mal ou du bien. Une œuvre d’art est une création du sentiment. Le sentiment s’éprouve et ne se prouve pas. Ce qui inspire l’écrivain, c’est quelque chose d’abstrait. L’abstrait ne se prouve pas par le concret, le fait ne justifie ni ne détruit la théorie, le réel ne conclut rien pour ou contre l’idéal.