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l’ombre d’un mystère nouveau. Il sentit passer en lui comme un vague frémissement de curiosité qu’Éveline prit pour un frisson de jalousie.

— Nathalie avait deviné juste, pensa-t-elle, M. Thierray est amoureux de ma belle-mère. Allons, c’est un combat à livrer, et je le livrerai. Il ne sera pas dit que cette jeune femme, à qui je permets d’accaparer le cœur de mon père, ne nous laissera pas un pauvre adorateur.

Elle fit si bien, que Thierray resta enchaîné à ses côtés, un peu préoccupé, un peu acerbe, un peu rebelle, mais, sinon retenu par un lien de fleurs, du moins empêtré dans un écheveau de soie. Flavien arriva, et, en recevant les remercîments et les éloges de la famille, il ne songea qu’à chercher dans les yeux de toutes les femmes qui se trouvaient là (car il était arrivé plusieurs voisines) la folle ou la railleuse qui avait jeté à sa tête, c’est-à-dire dans son chapeau, la branche d’azalée. Avant qu’il eût rencontré les yeux de Nathalie, celle-ci avait vu la fleur à sa boutonnière, et s’était dit :

— Ou il n’aime personne, ou il est facile à distraire, Avec une passion sérieuse, on ne se donne pas à la première venue, et cette fleur est sur lui comme un écriteau sur une maison à vendre ou à louer.

Elle prit un journal qu’elle fit mine de parcourir, et, quand Flavien, par un détour savant, trouva le moyen de venir la saluer, elle était si bien préparée à lui faire un accueil de glace, qu’après lui avoir souhaité fort gracieusement le bonjour, il s’éloigna en pensant :

— Certes, ce n’est pas de cette précieuse que je porte les couleurs à ma boutonnière !

Éveline causait avez tant d’animation sans même le voir, et Thierray l’absorbait si bien, que Flavien sourit en se disant que ce n’était pas celle-là non plus.