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cria comme malgré lui, en lisant une lettre de faire part :

— Bon ! voilà Célestin Aubry qui a perdu son fils ! Par conséquent, il dotera sa fille d’un million et demi, et elle en aura trois après sa mort. Ah ! c’est un joli denier, et si tu n’étais pas si bête !…

Je ne crus pas devoir répondre, et quelques semaines se passèrent. Alors, mon oncle revint à la charge. « Il était temps encore, on m’invitait à aller à la chasse du côté de Saint-Malo. » Je répondis que je n’aimais pas la chasse aux héritières, et mon oncle s’emporta. J’avais raison au fond, disait-il, de trouver Aubry désagréable et fantasque, et il n’approuvait certes pas la traite des nègres ; mais j’avais un ton cassant, je m’émancipais un peu trop dans mes répliques, et j’avais l’air de lui faire la leçon. Je devais pourtant me souvenir que les grands parents ne peuvent jamais avoir tort, surtout quand on a besoin d’eux.

Cette mercuriale se renouvela souvent à propos des moindres choses, et je vis bien que j’avais blessé l’amour-propre de mon oncle. Mon refus de faire la cour à Rébecca Nuñez empira gravement le mal, et, quand il fut question de Jeanne la Rousse, je laissai échapper un mot qui me perdit. Je rappelai à mon oncle qu’il ne m’avait pas trop blâmé jadis d’avoir refusé pour beau-père un homme qui avait fait la traite des noirs, que, par conséquent, il devait m’excuser de ne pas vouloir pour belle-mère d’une femme qui avait fait un si beau commerce avec les blancs. En réponse à cette judicieuse observation, mon oncle voulut me tuer. Ayez donc de l’esprit !

Mais voici bien une autre affaire ! Mon oncle aussi a fait commerce de chair humaine ! Le savais-tu ?