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à fixer mes rêveries, jusqu’ici trop confuses, que pour creuser un problème auquel je ne puis attacher aucune importance. Ce qui doit te faire excuser mon bavardage, c’est que tout me reporte, même les plus futiles circonstances, à la recherche qui occupe mes heures de travail. T’ai-je dit ce que c’était ? Non, je ne crois pas, et il est temps que je te le dise.

« Qu’est-ce que le bonheur ? » That is the question.

C’est assez drôle, n’est-ce pas ? qu’au lendemain d’une petite catastrophe qui me précipite la tête la première au milieu des circonstances les plus périlleuses et les plus inquiétantes de la vie, l’absence de tout bien, l’ignorance absolue de l’avenir, la première idée qui me soit venue, c’est de vouloir analyser une abstraction où l’homme place son idéal de plénitude et de sécurité… Ne va pas croire que ce soit une fanfaronnade de stoïcisme. Nullement ; cela m’est venu en me sentant je ne dirai pas heureux, puisque j’ignore quelle sera la durée de mon impression, mais joyeux, satisfait, confiant, dans un état de l’âme enfin que je ne connaissais pas, que je ne cherchais pas, et auquel je n’avais jamais songé.

C’est peut-être que, sans le savoir, j’avais été malheureux jusqu’à ce jour. Je ne me le disais pas, j’eusse été ridicule de me le dire, voyant mon sort matériellement préférable à celui de tant d’autres qui me valent bien ; mais je me souviens confusément aujourd’hui d’avoir souffert dix fois par jour de mon état de dépendance vis-à-vis des autres et de moi-même. Mon oncle est d’humeur tyrannique, cela est certain. J’y étais habitué, et le spectacle de ses violences m’a rendu, par réaction, extraordinairement contenu. J’évitais le moindre choc avec un soin extrême ; mais