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me montre ses premiers toits ; le reste se cache dans un pli du terrain. Plus loin et en face tout à fait, une habitation quelconque, petite, voilée d’arbres et placée tout au pied de la colline, c’est-à-dire à une demi-lieue à vol d’oiseau, m’envoie vers deux heures une étincelle dans les yeux : c’est une étroite fenêtre où le pâle soleil se mire un instant. Cette étoile blanche qui perce le branchage violacé m’occupe et m’intéresse. Qui demeure là, dans un isolement encore plus sauvage que le mien, car la maisonnette semble perdue dans les bois ? Ce n’est pas tout à fait, autant que je peux en distinguer les contours, la demeure d’un paysan. Pourquoi non cependant ? La chaumière devient un mythe en ce pays riche, et ce toit de tuiles roses n’a rien de seigneurial. Je soupçonne pourtant que c’est la résidence d’un singulier personnage que je vois de loin dès qu’il fait un peu de beau temps, et que, ce matin, j’ai vu d’assez près en revenant par le bord de la rivière.

C’est un vieillard très-droit encore, chauve probablement sous son bonnet de soie noire enfoncé jusqu’aux oreilles et surmonté d’un chapeau à la mode de 1830. Une redingote noire de même date et prodigieusement râpée sert de gaine à un corps maigre, dont les jambes sont si grêles, que, vu de profil, il ressemble à un héron planté sur une seule patte. Immobile au bord du ruisseau durant des heures entières, il semble guetter sa proie, et son nez long et fort fait bien l’effet d’un bec prêt à fouiller la vase. Enfin, aujourd’hui qu’il faisait tout à fait beau, j’ai découvert que c’était un pêcheur à la ligne, car il était muni de tous ses engins. Les autres jours, jugeant qu’il était inutile de vouloir pêcher en eau trouble, il