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ou d’inconséquence, se sentit mal à l’aise, fâché de m’avoir ouvert son cœur et assez pressé de me quitter. Il hasarda quelques questions auxquelles il me fut dès lors aisé de répondre d’une manière évasive, et il me dit : « Au revoir ! » sans me demander pourquoi on ne me voyait plus à Paris ; ce qui me prouve que mon absence n’a encore été remarquée de personne. Heureux Paris, pays de l’insouciance, de l’incognito, de la liberté par conséquent ! Je crains qu’ici ce ne soit pas la même chose, et qu’avec ses airs fallacieux de prairie américaine, mon petit désert ne me cache pas aussi bien que le premier coin de rue s’ouvrant sur le boulevard.

De cette rencontre, je conclus encore ceci : que mademoiselle Rébecca Nuñez m’a gardé rancune pour mon peu de galanterie, et que, devenue madame Duport, elle s’arrangera pour me brouiller avec son mari, avec son cousin Gédéon et avec tous les Nuñez de la terre. Peu m’importe, je leur suis médiocrement attaché ; mais, comme elle est dévote, j’aurai contre moi l’église et la synagogue.

Dieu merci, je ne fais plus partie de ce monde là ni d’aucun autre ! Déclassé, je ne veux pas me reclasser ailleurs. Je veux vivre en panthéiste et en éclectique social. Pour le moment, je ne vis qu’avec moi-même, car l’auberge, qui est loin, me dérangerait trop, et ma vieille femme de ménage trouve son compte à me faire vivre plus économiquement encore à domicile. Je n’ai pas l’ombre d’un voisin. Une grande plaine surmontée d’un mamelon termine la vallée sur ma gauche. À droite, une région assez étendue de choux et d’artichauts me sépare du village. Un autre bourg plus petit, à un kilomètre presque en face de moi,