Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée

giner ce qui me plaît. Voilà pourquoi je n’aime pas qu’on me parle de l’autre vie. Si j’y croyais, je ne voudrais pas qu’elle me fût définie. Je n’y crois pas ; mais, quand un rêve d’enfance me reporte à cette douce fantaisie, je veux me l’imaginer moi-même, je ne supporte pas qu’elle me soit montrée à travers la fantaisie plus ou moins saugrenue ou prosaïque d’un moderne Swedenborg. Celui-ci me fait l’effet d’un homme perché sur le haut de la tour de Montlhéry, qui me dirait : « Voyez ces plaines, ces bois, ces villes, ces châteaux ! Eh bien, au delà, c’est toujours la même chose ! » Merci. Laissez-moi l’inconnu. Ce mot là ne blesse pas ma raison, et il n’enlève pas toute lueur de poésie à mon cerveau.

Voilà aussi pourquoi je ne cède pas encore au désir de me promener aux rares heures où le soleil me convie. J’ai peur de découvrir dans ce vallon charmant des détails laids ou ridicules, et de ne pouvoir les oublier quand je me reporterai à la vue de l’ensemble. Je reconnais que ce n’est point là une idée conforme à ma théorie réaliste. Il faudrait tout accepter dans la nature comme dans la vie, ne rien dédaigner, et savoir peindre l’horreur d’une voirie avec autant de plaisir — le plaisir de la conscience satisfaite — que la suavité d’un jardin rempli de fleurs. Si tu étais là, tu me ferais la leçon, et tu me dirais encore que je ne suis pas positiviste. Je serais forcé de t’avouer encore que mes instincts se révoltent contre mes croyances. Tant mieux, puisque c’est le thème sur lequel je veux m’exercer pour mon début !

Présente à ta mère mes plus tendres respects.