Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée

assistance, et qu’il ne pourrait la lui refuser, mais qu’il ne savait pas si je parlais sérieusement en lui proposant de s’entendre avec M. Sylvestre, qui était un philosophe ennemi du duel, et peu versé probablement dans la pratique de pareilles affaires.

— Pardonnez-moi, monsieur, répondit l’ermite en se redressant ; j’ai servi, je me suis battu à Waterloo avant que vous fussiez né, je sais subir toutes les nécessités de la vie pratique, et je reconnais que, pour ne pas rester exposé aux outrages d’un homme qui a perdu la tête, M. Sorède doit fatalement se battre avec son ancien ami. C’est odieux, mais on nous y force, et nous acceptons le malheur de cette situation. Il pourrait y avoir discussion entre nous sur le véritable auteur de l’agression ; mais vous voyez que M. Sorède ne recule devant rien, et, en gens d’honneur, c’est à nous d’égaliser les chances.

— Quant à moi, messieurs, leur dis-je en prenant mon chapeau, je sais que je ne dois plus me mêler de rien. Je vous laisse ensemble.

J’ai été faire un tour de promenade, et, chose étrange, je n’ai eu qu’une préoccupation, celle de finir mon article payé d’avance par la Revue cosmogonique. Si je suis tué, mon travail historique doit au moins être complété, et je veux y laisser percer ma pensée, que jusqu’à présent j’ai trop réservée. Je dirai ce que je crois comprendre maintenant. Le bonheur n’a jamais été défini et ne pourra jamais l’être. Chaque homme s’en fait une idée qui lui est propre, et qui varie même selon l’état de son âme. Rien n’est le bonheur proprement dit, et tout est le bonheur pour une âme bien vivante. Il ne s’agit donc pas de poursuivre le bonheur, mais de développer la vie,