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— N’exagérez pas, me dit-elle ; c’est là une tendance, et non un bonheur. C’est la consolation des malheureux ; leur récompense est de voir leur dévouement devenir utile. Tout cela, c’est le devoir avec ses douleurs et ses joies ; ce n’est pas le bonheur.

— Alors, dit Gédéon, le bonheur, c’est…

— Je n’en sais rien, reprit-elle. Il y a des gens tellement pris dans l’engrenage du devoir, qu’ils n’ont pas le loisir de savoir si le bonheur existe, et qu’ils n’ont pas même le droit d’y songer.

— Tout le monde a le droit d’échapper aux devoirs qui dépassent les forces, répliqua Gédéon : c’est la plupart du temps une question d’argent, et tout le monde a le droit de s’enrichir ; mais vous avez des préventions, je dirai même des préjugés contre la richesse, et je crois que Pierre les partage.

Je répondis que non, mais je crus devoir développer ma courte théorie. Tu la connais : que les richesses bien acquises soient bien employées, et je les regarde comme de bons instruments dans la main de bons ouvriers ; mais quelles soient le but personnel de l’activité de l’individu, c’est, selon moi, un mal. Travailler à la richesse collective et sociale en se contentant des conditions où le travail est un bien, une vertu, une santé, voilà l’ambition légitime et l’activité logique : tout ce qui dépasse ou contredit ce terme est vanité, intempérance ou manie.

Gédéon répliqua fort sagement que, dans une société bien ordonnée, on pourrait juger du mérite de l’individu d’après le chiffre de son avoir. Celui qui vivrait dans la misère serait avec raison réputé incapable, paresseux ou prodigue, et celui qui arriverait à une vaine opulence pourrait être accusé de cupidité, d’intempé-