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vre de M. Nuñez, je me sens laide, ridicule, triste, ennuyée, et je me dis alors avec certitude : « J’appartiens à un milieu, par conséquent à un homme, que je n’aime pas. Il faut qu’il soit laid, puisque je trouve laid tout ce qu’il a créé jusqu’aux fontaines de son jardin. »

Alors, j’ouvre les yeux, et je me regarde, et je respire ! Je ne suis pas madame Nuñez ; je suis moi, jeune, libre et forte. L’avenir m’appartient ; donc, le présent est très-bon. Zoé est guérie, le plus grand souci de mon existence est effacé. Je dois cela à M. Nuñez ; je suis reconnaissante, dévouée, attachée à ses enfants, ils sont très-gentils, ces enfants-là, ils ne sont pas miens. Je leur donne les bonnes notions qu’on veut que je leur donne ; s’ils n’en profitent pas, ils ont une famille pour les punir et les contrarier. Je m’impose beaucoup de peine pour eux ; c’est de la fatigue, voilà tout : cela ne saurait aller jusqu’à la douleur, et, si j’ai jamais des enfants à moi, je leur apporterai une âme vierge de cette passion maternelle qui leur sera due.

Pourtant vous m’avez prescrit de réfléchir encore mon ami, avant de décourager entièrement M. Nuñez. Vous m’avez dit des choses fortes et vraies. Oui, il est très-vrai que l’idée d’être mère un jour fait battre violemment mon cœur, et que, si je n’avais pas cet instinct-là, je ne serais pas une femme. Il est encore vrai que, dans peu d’années, je m’épouvanterai peut-être de l’isolement de ma vie, et que le besoin d’aimer, longtemps refoulé par la raison, ou détourné par la préoccupation du travail quotidien, s’imposera à moi avec une force que je ne peux pas prévoir. Alors, il est possible que, sous le coup d’une émotion trop vive, je fasse un choix précipité, beaucoup moins bon que