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plie à leurs alternatives, et ma souffrance me fait sentir que je suis autre, non pas meilleure, non pas si bonne ni si sage peut-être, mais plus moi-même, plus Française, c’est-à-dire plus jalouse de m’appartenir et de subir les chances de l’imprévu. Je veux, par exemple, pleurer sous le charme de la musique, ou y être complètement insensible, si ma fantaisie m’emporte ailleurs. Enfin je suis peut-être un peu folle, et je veux avoir le droit de l’être. Qu’est-ce que cela fait, si personne ne s’en aperçoit et ne s’en doute jamais ?

Vous reconnaîtrez peut-être là l’effet de ma jeunesse brisée par une tyrannie dont je ressens encore par moments la stupeur et l’effroi. Aussi le mariage m’épouvante, et, s’il m’était permis de rester comme je suis, une fille dont personne n’a besoin de s’occuper et qui n’a besoin de personne pour maintenir sa dignité, je m’estimerais très-contente de mon sort et ne penserais jamais au lendemain.

Mais voilà qu’on veut le changer, mon sort ! Pourquoi, puisque je ne m’en plains pas ?… On prétend qu’il faut que je sois riche : quel droit ai-je à cela, et pourquoi, d’ailleurs, accepterais-je les terribles soucis attachés à une grande responsabilité ? Enfin on prétend me rendre heureuse, comme si le bonheur était quelque chose qu’on peut nous donner par-devant notaire ! Je n’ai aucun besoin de ce qu’on m’offre, moi ! Le luxe m’est odieux depuis que j’ai porté malgré moi des saphirs et des rubis comme des chaînes d’esclavage sur mes bras d’enfant. Cette grande maison toute peinte et toute dorée où me voilà ne me dit rien du tout. C’est comme une riche auberge hospitalière qui appartient à tous les visiteurs, et dont la possession ne cause aucune jouissance à celui qui en fait les frais.