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— Oui, lui répondis-je obstinément, parce que vous avez dit : « Voilà un imbécile à qui je persuaderai tout ce que je voudrai en lui disant que je l’aime ; il le croira, et je le mènerai pendre. » Voyons, il n’y a qu’un mot qui serve, si vous m’aimez.

Elle me regardait d’un air d’angoisse, tandis que je cherchais à rencontrer ses lèvres quand elle ne détournait pas la tête. Je tenais ses mains dans les miennes, elle ne pouvait plus que reculer l’instant de sa défaite. Tout à coup sa figure pâle se colora, elle se mit à sourire, et, avec une expression de coquetterie angélique :

— Et vous, dit-elle, m’aimez-vous ?

De ce moment, la victoire fut à elle. Je n’eus plus la force de vouloir ce que je désirais ; ma tête de loup-cervier fut bouleversée, ni plus ni moins que celle d’un homme, et je crois que j’eus l’accent de la voix humaine en m’écriant pour la première fois de ma vie :

— Oui, je t’aime ! oui, je t’aime !

— Eh bien ! dit-elle d’un air fou et avec un ton caressant, aimons-nous et sauvons-nous.

— Oui, sauvons-nous, lui répondis-je ; je déteste cette maison et mes oncles. Il y a longtemps que je veux me sauver. Mais on me pendra, tu sais bien.

— On ne te pendra pas, reprit-elle en riant ; mon prétendu est lieutenant général.

— Ton prétendu ! m’écriai-je, saisi d’un nouvel accès de jalousie plus vif que le premier ; tu vas te marier ?

— Pourquoi non ? répondit-elle en me regardant avec attention.

Je pâlis et je serrai les dents.

— En ce cas…, lui dis-je en essayant de l’emporter dans mes bras.

— En ce cas, me répondit-elle en me donnant une