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pensée se fut emparée de moi, fut de me lever et d’aller droit à la porte, que je fermai à double tour, et dont je tirai les verrous ; puis je revins vers la dame, déterminé que j’étais à ne pas lui donner lieu de railler ma timidité.

Elle était assise sous le manteau de la cheminée ; et, comme elle était occupée à sécher ses habits mouillés, et penchée vers le foyer, elle ne s’était pas rendu compte de ce que je faisais ; mais l’expression étrange de mon visage la fit tressaillir lorsque je m’approchai d’elle. J’étais déterminé à l’embrasser pour commencer ; mais je ne sais quel prodige, dès qu’elle eut levé ses yeux sur moi, cette familiarité me devint impossible. Je me sentis que le courage de lui dire :

— Ma foi ! mademoiselle, vous êtes charmante, et vous me plaisez, aussi vrai que je m’appelle Bernard Mauprat.

— Bernard Mauprat ! s’écria-t-elle en se levant ; vous êtes Bernard Mauprat, vous ? En ce cas, changez de langage et sachez à qui vous parlez ; ne vous l’a-t-on pas dit ?

— On ne me l’a pas dit, mais je le devine, répondis-je en ricanant et en m’efforçant de lutter contre le respect que m’inspiraient sa pâleur subite et son attitude impérieuse.

— Si vous le devinez, dit-elle, comment est-il possible que vous me parliez comme vous faites ? Mais on m’avait bien dit que vous étiez mal élevé, et pourtant, j’avais toujours désiré vous rencontrer.

— En vérité, dis-je en ricanant toujours, vous ! princesse de grandes routes, qui avez connu tant de gens en votre vie ? Laissez mes lèvres rencontrer les vôtres, s’il vous plaît, ma belle, et vous saurez si je suis aussi bien élevé que messieurs mes oncles, que vous écoutiez si bien tout à l’heure.

— Vos oncles ! s’écria-t-elle en saisissant brusquement