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sible que, dans deux heures au plus, vos parents n’aient pas de vos nouvelles, et que bientôt vous ne les voyiez arriver ici, où ils seront hébergés le mieux possible. Tenez-vous donc en repos, et acceptez quelques cordiaux pour vous remettre ; car vous êtes mouillée et accablée de fatigue.

— Sans l’inquiétude que j’éprouve, je serais affamée, répondit-elle en souriant. Je vais essayer de manger quelque chose ; mais ne faites rien d’extraordinaire pour moi. Vous avez déjà mille fois trop de bonté.

Elle s’approcha de la table où j’étais resté accoudé et prit un fruit tout près de moi sans m’apercevoir. Je me retournai et la regardai effrontément d’un air abruti. Elle supporta mon regard avec arrogance. Voilà du moins ce qu’il me sembla. J’ai su depuis qu’elle ne me voyait seulement pas ; car, tout en faisant effort sur elle-même pour paraître calme et répondre avec confiance à l’hospitalité qu’on lui offrait, elle était fort troublée de la présence inattendue de tant d’hommes étranges, de mauvaise mine et grossièrement vêtus. Pourtant nul soupçon ne lui venait. J’entendais un des Mauprat dire près de moi à Jean :

— Bon ! tout va bien ; elle donne dans le panneau ; faisons-la boire, elle causera.

— Un instant, répondit Jean, surveillez-la, l’affaire est sérieuse ; il y a mieux à faire ici qu’à se divertir. Je vais tenir conseil, on vous appellera pour dire votre avis ; mais ayez l’œil un peu sur Bernard.

— Qu’est-ce qu’il y a ? dis-je brusquement en me retournant vers lui. Est-ce que cette fille ne m’appartient pas ? N’a-t-on pas juré sur l’âme de mon grand-père… ?

— Ah ! c’est parbleu vrai ! dit Antoine en s’approchant de notre groupe, tandis que les autres Mauprat entouraient