d’indépendance s’insinuaient sourdement parmi eux ; nos plus fidèles serviteurs se lassaient d’avoir le pain et les vivres en abondance ; ils demandaient de l’argent, et nous n’en avions pas. Plusieurs sommations nous avaient été faites sérieusement de payer à l’État les impôts du fisc ; et, nos créanciers se joignant aux gens du roi et aux paysans révoltés, tout nous menaçait d’une catastrophe semblable à celle dont le seigneur de Pleumartin venait d’être la victime dans le pays[1].
Mes oncles avaient longtemps projeté de s’adjoindre aux rapines et à la résistance de ce hobereau. Mais, au moment où Pleumartin, près de tomber au pouvoir de ses ennemis, nous avait donné sa parole de nous accueillir comme amis et alliés si nous marchions à son secours, nous avions appris sa défaite et sa fin tragique. Nous étions donc à toute heure sur nos gardes. Il fallait quitter le pays ou traverser une crise décisive. Les uns conseillaient le premier parti ; les autres s’obstinaient à suivre le conseil du père mourant, et à s’enterrer sous les ruines du donjon. Ils traitaient de lâcheté et de couardise toute idée de fuite ou de transaction. La crainte d’encourir un pareil reproche et peut-être un peu l’amour instinctif du danger me retenaient donc encore ; mais mon aversion pour cette existence odieuse sommeillait en moi, toujours prête à éclater violemment.
- ↑ Le seigneur de Ploumartin a laissé dans le pays des souvenirs qui préserveront dans le récit de Mauprat du reproche d’exagération. La plume se refuserait à tracer les féroches obscénités et les raffinements de torture qui signalèrent la vie de cet insensé et qui perpétuèrent les traditions du brigandage féodal dans le Berry jusqu’aux derniers jours de l’ancienne monarchie. On fit le siège de son château, et, après une résistance opiniâtre, il fut pris et pendu. Plusieurs personnes encore vivantes, et d’un âge qui n’est pas même très avancé, l’ont connu.