Page:Sand - Mauprat.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.



VI


J’avais quinze ans quand mon grand-père mourut ; sa mort ne causa point de douleur, mais une véritable consternation à la Roche-Mauprat. Il était l’âme de tous les vices qui y régnaient, et il est certain qu’il y avait en lui quelque chose de plus cruel et de moins vil que dans ses fils. Après lui, l’espèce de gloire que son audace nous avait acquise s’éclipsa. Ses enfants, jusque-là bien disciplinés, devinrent de plus en plus ivrognes et débauchés. D’ailleurs, les expéditions furent chaque jour plus périlleuses.

Excepté le petit nombre de féaux que nous traitions bien et qui nous étaient tous dévoués, nous étions de plus en plus isolés et sans ressources. Le pays d’alentour avait été abandonné à la suite de nos violences. La frayeur que nous inspirions agrandissait chaque jour le désert autour de nous. Il fallait aller loin et se hasarder sur les confins de la plaine. Là, nous n’avions pas le dessus, et mon oncle Laurent, le plus hardi de tous, fut grièvement blessé dans une escarmouche. Il fallut chercher d’autres ressources. Jean les suggéra. Ce fut de se glisser dans les foires sous divers déguisements et d’y commettre des vols habiles. De brigands, nous devînmes filous, et notre nom détesté s’avilit de plus en plus. Nous établîmes des accointances avec tout ce que la province recélait de gens tarés, et, par