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deux ans, et je vous promets de vous pendre, de ma propre main, à un certain arbre que je reconnaîtrai bien, et qui est devant la porte de la tour Gazeau. Si je ne le fais, je veux cesser d’être gentilhomme ; si je vous épargne, je veux être appelé meneur de loups.

Patience sourit, et, tout d’un coup devenant sérieux, il attacha sur moi ce regard profond qui rendait sa physionomie si remarquable. Puis, se tournant vers le chasseur de belettes :

— C’est singulier, dit-il, il y a quelque chose dans cette race. Voyez le plus méchant noble : il a encore plus de cœur dans certaines choses que le plus brave d’entre nous. Ah ! c’est tout simple, ajouta-t-il en se parlant en lui-même ; on les élève comme ça, et nous, on nous dit que nous naissons pour obéir… Patience ! 

Il garda un instant le silence ; puis il sortit de sa rêverie pour me dire d’un ton de bonhomie un peu railleuse :

— Vous voulez me pendre, monseigneur Brin de chaume ? Mangez donc beaucoup de soupe ; car vous n’êtes pas encore assez haut pour atteindre à la branche qui me portera ; et, jusque-là… il passera peut-être sous le pont bien de l’eau dont vous ne savez pas le goût.

— Mal parlé, mal parlé, dit le preneur de taupes d’un air grave ; allons, la paix. Monsieur Bernard, pardon pour Patience ; c’est un vieux, un fou.

— Non, non, dit Patience, je veux qu’il me pende ; il a raison, il me doit cela, et, au fait, cela arrivera peut-être plus vite que tout le reste. Ne vous dépêchez pas trop de grandir, monsieur ; car, moi, je me dépêche de vieillir plus que je ne voudrais ; et, puisque vous êtes si brave, vous ne voudrez pas attaquer un homme qui ne pourrait plus se défendre.

— Vous avez bien usé de votre force avec moi ! m’é-