Page:Sand - Mauprat.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’égouttant sur moi, me pénétrait d’horreur ; car, quoiqu’il n’y eût là qu’une correction usitée avec les chiens de chasse qui mordent le gibier, mon cerveau, troublé par la rage, par le désespoir et par les cris de mon compagnon, commençait à croire à quelque affreux maléfice ; mais je pense que j’eusse été moins puni s’il m’eût métamorphosé en chouette que je ne le fus en subissant la correction qu’il m’infligea. En vain je l’accablai de menaces, en vain je fis d’effroyables serments de vengeance, en vain le petit paysan se jeta encore à genoux, en répétant avec angoisse :

— Monsieur Patience, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de vous-même, ne lui faites pas de mal ; les Mauprat vous tueront.

Il se prit à rire en haussant les épaules, et, s’armant d’une poignée de houx, il me fustigea, je dois l’avouer, d’une manière plus humiliante que cruelle ; car à peine vit-il couler quelques gouttes de mon sang qu’il s’arrêta, jeta ses verges, et même je remarquai une subite altération dans ses traits et dans sa voix, comme s’il se fût repenti de sa sévérité.

— Mauprat, me dit-il en croisant ses bras sur sa poitrine et en me regardant fixement, vous voilà châtié ; vous voilà insulté ; mon gentilhomme : cela me suffit. Vous voyez que je pourrais vous empêcher de me jamais nuire en vous ôtant le souffle d’un coup de pouce, et en vous enterrant sous la pierre de ma porte. Qui s’aviserait de venir chercher ce bel enfant de noble chez le bonhomme Patience ? Mais vous voyez que je n’aime pas la vengeance ; car, au premier cri de douleur qui vous est échappé, j’ai cessé. Je n’aime pas à faire souffrir, moi ; je ne suis pas un Mauprat. Il était bon pour vous d’apprendre par vous-même ce que c’est que d’être une fois la victime. Puisse cela vous dégoûter