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pas par le sentier de la tour Gazeau, et qu’il allait prendre à travers bois. Cet avis fut accueilli par deux autres. Un troisième objecta que l’on risquait de se perdre si on quittait le sentier, que la nuit était proche et que les loups étaient en nombre.

— Allons, canaille ! m’écriai-je d’un ton de prince en poussant le guide, suis le sentier, et laisse-nous tranquilles avec tes sottises.

Non, moi[1], dit l’enfant, je viens de voir le sorcier qui dit des paroles sur sa porte, et je n’ai pas envie d’avoir la fièvre toute l’année.

— Bah ! dit un autre, il n’est pas méchant avec tout le monde. Il ne fait pas de mal aux enfants ; et, d’ailleurs, nous n’avons qu’à passer bien tranquillement sans lui rien dire ; qu’est-ce que vous voulez qu’il nous fasse ?

— Oh ! c’est bien, reprit le premier, si nous étions seuls !… Mais M. Bernard est avec nous, nous sommes sûrs d’avoir un sort.

— Qu’est-ce à dire, imbécile ? m’écriai-je en levant le poing.

— Ce n’est pas ma faute, monseigneur, reprit l’enfant. Ce vieux chétif n’aime pas les monsieu, et il a dit qu’il voudrait voir M. Tristan et tous ses enfants pendus au bout de la même branche.

— Il a dit cela ? Bon ! repris-je, avançons, et vous allez voir. Qui m’aime me suive ; qui me quitte est un lâche.

Deux de mes compagnons se laissèrent entraîner par la vanité. Tous les autres feignirent de les imiter ; mais, au bout de quatre pas, chacun avait pris la fuite en s’enfonçant dans le taillis, et je continuai fièrement ma route, escorté de mes deux acolytes. Le petit Sylvain, qui allait le premier,

  1. Locution du pays