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et réciproquement. Patience dédaigna d’entrer dans cette lutte. Un beau matin, il alla embrasser son ami en pleurant, et lui dit :

— Je n’aime que vous au monde, je ne veux donc pas vous être un sujet de persécution ; comme, après vous, je ne connais et n’aime personne, je m’en vais vivre dans les bois à la manière des hommes primitifs. J’ai pour héritage un champ qui rapporte cinquante livres de rente ; c’est la seule terre que j’aie jamais remuée de mes mains, et la moitié de son chétif revenu a été employée à payer la dîme de travail que je dois au seigneur ; j’espère mourir sans avoir fait pour autrui le métier de bête de somme. Cependant, si on vous suspend de vos fonctions, si on vous ôte votre revenu, et que vous ayez un champ à labourer, faites-moi dire un mot, et vous verrez que mes bras ne seront pas engourdis dans l’inaction.

Le pasteur combattit en vain cette résolution. Patience partit, emportant pour tout bagage la veste qu’il avait sur le dos, et un abrégé de la doctrine d’Épictète, pour laquelle il avait une grande prédilection, et dans laquelle, grâce à de fréquentes études, il pouvait lire jusqu’à trois pages par jour, sans se fatiguer outre mesure. L’anachorète rustique alla vivre au désert. D’abord il se construisit dans les bois une cahute de ramée. Mais, assiégé par les loups, il se réfugia dans une salle basse de la tour Gazeau, où il se fit, avec un lit de mousse et des troncs d’arbres, un ameublement splendide ; avec des racines, des fruits sauvages et le laitage d’une chèvre, un ordinaire très peu inférieur à celui qu’il avait eu au village. Ceci n’est point exagéré. Il faut voir le paysan de certaines parties de la Varenne pour se faire une idée de la sobriété au sein de laquelle un homme peu vivre en état de santé. Au milieu de ces habitudes stoïques, Patience était encore une exception. Jamais le