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suis servi du mot phrénologie parce que la seule fatalité à laquelle on croie de nos jours, c’est celle que nos instincts nous créent à nous-mêmes. Je ne pense pas que la phrénologie soit plus fataliste qu’aucun système de ce genre, et Lavater, accusé de fatalisme aussi dans son temps, était l’homme le plus chrétien que l’Évangile ait jamais formé.

Ne croyez à aucune fatalité absolue et nécessaire, mes enfants, et cependant admettez une part d’entraînement dans nos instincts, dans nos facultés, dans les impressions qui ont entouré notre berceau, dans les premiers spectacles qui ont frappé notre enfance ; en un mot, dans tout ce monde extérieur qui a présidé au développement de notre âme. Admettez que nous ne sommes pas toujours absolument libres de choisir entre le bien et le mal, si vous voulez être indulgents pour les coupables, c’est-à-dire justes comme le ciel ; car il y a beaucoup de miséricorde dans les jugements de Dieu, autrement sa justice serait incomplète.

Ce que je vous dis là n’est peut-être pas très orthodoxe ; mais c’est chrétien, je vous en réponds, parce que c’est vrai. L’homme ne naît pas méchant ; il ne naît pas bon non plus, comme l’entend Jean-Jacques Rousseau, le vieux maître de ma chère Edmée. L’homme naît avec plus ou moins de passions, avec plus ou moins de vigueur pour les satisfaire, avec plus ou moins d’aptitude pour en tirer un bon ou un mauvais parti dans la société. Mais l’éducation peut et doit trouver remède à tout ; là est le grand problème à résoudre, c’est de trouver l’éducation qui convient à chaque être en particulier. L’éducation générale et en commun semble nécessaire, s’ensuit-il qu’elle doive être la même pour tous ? Je crois bien que, si l’on m’eût mis au collège à dix ans, j’eusse été sociable de meilleure heure ; mais eût-on su corriger mes violents appétits et m’enseigner à les vaincre comme Edmée l’a fait ? J’en doute. Tout