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— Témoin, dit-il, je vous rappelle à l’ordre ; vous outragez la vertu d’un prélat par le récit scandaleux d’une telle conversation.

— Nullement, répondit Patience, je rapporte les invectives d’un crapuleux et d’un assassin contre le prélat ; je n’en prends rien sur moi, et chacun ici sait le cas qu’il a à en faire ; mais, si vous le voulez, je n’en dirai pas davantage sur ce sujet. Il y eut encore un assez long débat. Le vrai trappiste voulait faire partir le faux trappiste, et celui-ci s’obstinait à rester, disant que, s’il n’était pas sur les lieux, son frère le ferait arrêter aussitôt après que Bernard aurait la tête tranchée, afin d’avoir l’héritage à lui tout seul. Jean, poussé à bout, le menaça sérieusement de le dénoncer et de le livrer à la justice.

« — Baste ! vous vous en garderez bien, après tout, reprit Antoine, car, si Bernard est absous, adieu l’héritage !»

C’est ainsi qu’ils se séparèrent. Le vrai trappiste s’en alla fort soucieux, l’autre s’endormit les coudes sur la table. Je sortis de ma cachette pour procéder à son arrestation. C’est dans ce moment que la maréchaussée, qui est à mes trousses depuis longtemps pour me forcer à venir témoigner, me mit la main au collet. J’eus beau désigner le moine comme l’assassin d’Edmée, on ne voulut pas me croire, et on me dit qu’on n’avait pas d’ordre contre lui. Je voulais ameuter le village, on m’empêcha de parler ; on m’amena ici de brigade en brigade comme un déserteur, et, depuis huit jours, je suis au cachot sans qu’on daigne faire droit à mes réclamations. Je n’ai même pu voir l’avocat de M. Bernard et lui faire savoir que j’étais en prison ; c’est tout à l’heure seulement que le geôlier est venu me dire qu’il fallait endosser un habit et comparoir. Je ne sais pas si tout cela est dans les formes de la justice ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que l’assassin aurait pu être arrêté et