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qu’on vous l’a dit, et tenant encore la bride de son cheval, qui se cabrait. Elle ne savait pas si elle avait peu ou beaucoup de mal, mais elle avait son autre main sur sa poitrine et disait :

« — Bernard, c’est affreux ! je ne vous aurais jamais cru capable de me tuer. Bernard, où êtes-vous ? Venez me voir mourir. Vous tuez mon père ! »

Elle tomba tout à fait en disant cela et lâcha la bride de son cheval. Je m’élançai vers elle.

« — Ah ! tu l’as vu, Patience ? me dit-elle. N’en parle pas, ne dis pas à mon père… »

Elle étendit les bras, son corps se roidit ; je la crus morte, et elle ne parla plus que dans la nuit, après qu’on eut retiré les balles de sa poitrine.

— Vîtes-vous alors Bernard de Mauprat ?

— Je le vis sur le lieu de l’événement, au moment où Edmée perdit connaissance et sembla rendre l’âme ; il était comme fou. Je crus que c’était le remords qui l’accablait ; je lui parlai durement, je le traitai d’assassin. Il ne répondit rien et s’assit à terre auprès de sa cousine. Il resta là, abruti longtemps encore après qu’on l’eut emportée. Personne ne songea à l’accuser ; on pensait qu’il était tombé de cheval, parce qu’on voyait son cheval courir au bord de l’étang ; on crut que sa carabine s’était déchargée en tombant. M. l’abbé Aubert fut le seul qui entendit accuser M. Bernard d’avoir assassiné sa cousine. Les jours suivants, Edmée parla ; mais ce ne fut pas toujours en ma présence, et, d’ailleurs, depuis ce moment, elle eut presque toujours le délire. Je soutiens qu’elle n’a confié à personne (à Mlle  Leblanc moins qu’à personne) ce qui s’était passé entre elle et M. de Mauprat avant le coup de fusil. Elle ne me l’a pas confié plus qu’aux autres. Dans les moments bien rares où elle avait sa tête, elle répondait à nos