Page:Sand - Mauprat.djvu/382

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dainement et je sentis à cette heure que l’homme n’est pas fait pour cette concentration égoïste du désespoir qu’on appelle ou l’abnégation, ou le stoïcisme. Nul ne peut abandonner le soin de son honneur sans abandonner le respect dû au principe de l’honneur. S’il est beau de sacrifier sa gloire personnelle et sa vie aux mystérieux arrêts de la conscience, c’est une lâcheté d’abandonner l’une et l’autre aux fureurs d’une injuste persécution. Je me sentis relevé à mes propres yeux, et je passai le reste de cette nuit importante à chercher les moyens de me réhabiliter, avec autant de persévérance que j’en avais mis à m’abandonner au destin. Avec le sentiment de la force je sentis renaître celui de l’espérance. Edmée n’était peut-être ni folle ni frappée de mort. Elle pouvait m’absoudre, elle pouvait guérir.

— Qui sait ? me disais-je, elle m’a peut-être déjà rendu justice ; peut-être est-ce elle qui envoie Patience à mon secours ; sans doute j’accomplirai son vœu en reprenant courage, en ne me laissant pas écraser par les fourbes.

Mais comment obtenir cet ordre du grand conseil ? Il fallait une ordonnance du roi ; qui la solliciterait ? qui hâterait ces odieuses lenteurs que la justice sait apporter quand il lui plaît, dans les mêmes affaires où elle s’est jetée avec une précipitation aveugle ? qui empêcherait mes ennemis de me nuire et de paralyser tous mes moyens ? qui combattrait pour moi, en un mot ? L’abbé seul aurait pu le faire, mais il était en prison à cause de moi. Sa généreuse conduite dans le procès m’avait prouvé qu’il était encore mon ami, mais son zèle était enchaîné. Que pouvait Marcasse dans son obscure condition et son langage énigmatique ? Le soir vint, et je m’endormis avec l’espérance d’un secours céleste, car j’avais prié Dieu avec ferveur. Quelques heures de sommeil me rafraîchirent, et j’ouvris les