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ne voudraient sans doute pas se jouer, vous dont on appelle la voix voix de Dieu, joignez-vous à moi, embrassez la défense de la vérité, qui va être étouffée peut-être sous de malheureuses apparences ou bien qui va triompher par de mauvais moyens. Mettez-vous à genoux, hommes du peuple, mes frères, mes enfants ; priez, suppliez, obtenez que justice soit faite et colère réprimée. C’est votre devoir, c’est votre droit et votre intérêt ; c’est vous qu’on insulte et qu’on menace quand on viole les lois.

Patience parlait avec tant de chaleur, et la sincérité éclatait en lui avec tant de puissance, qu’il y eut un mouvement sympathique dans tout l’auditoire. La philosophie était alors trop à la mode chez les jeunes gens de qualité pour que ceux-ci ne répondissent pas des premiers à un appel qui ne leur était pourtant pas adressé. Ils se levèrent avec une impétuosité chevaleresque et se tournèrent vers le peuple, qui se leva, entraîné par ce noble exemple. Il y eut une clameur furieuse, et chacun, sentant sa dignité et sa force, oublia les préventions personnelles pour se réunir dans le droit commun. Ainsi, quelquefois il suffit d’un noble élan et d’une parole vraie pour ramener les masses égarées par de longs sophismes.

Le sursis fut accordé, et je fus reconduit à ma prison au milieu des applaudissements. Marcasse me suivit. Patience se déroba à ma reconnaissance, et disparut.

La révision de mon jugement ne pouvait se faire que sur un ordre du grand conseil. Pour ma part, j’étais décidé, avant l’arrêt, à ne point me pourvoir auprès de cette chambre de cassation de l’ancienne jurisprudence ; mais l’action et le discours de Patience n’avaient pas moins agi sur mon esprit que sur celui des spectateurs. L’esprit de lutte et le sentiment de la dignité humaine, engourdis et comme paralysés en moi par le chagrin, se réveillèrent sou-