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son être se fût mis en révolte contre ses charitables intentions. Quant aux paroles d’Edmée, il se refusa franchement à me les rapporter, et je compris par là qu’elles étaient accablantes. Alors je m’arrachai de mon lit, je repoussai inexorablement Marcasse, qui voulait me retenir. Je fis jeter une couverture sur le cheval du métayer et je partis au grand galop. J’avais l’air d’un spectre quand j’arrivai au château. Je me traînai jusqu’au salon sans rencontrer personne que Saint-Jean, qui fit un cri de terreur en m’apercevant et qui disparut sans répondre à mes questions.

Le salon était vide. Le métier d’Edmée, enseveli sous la toile verte que sa main ne devait peut-être plus soulever, me fit l’effet d’une bière sous un linceul. Le grand fauteuil de mon oncle n’était plus dans le coin de la cheminée ; mon portrait, que j’avais fait faire à Philadelphie et que j’avais envoyé pendant la guerre d’Amérique, avait été enlevé de la muraille. C’étaient des indices de mort et de malédiction.

Je sortis à la hâte de cette pièce et je montai avec la hardiesse que donne l’innocence, mais avec le désespoir dans l’âme. J’allai droit à la chambre d’Edmée, et je tournai la clef aussitôt après avoir frappé. Mlle Leblanc vint à ma rencontre, fit de grands cris et s’enfuit en cachant son visage dans ses mains, comme si elle eût vu paraître une bête féroce. Qui donc avait pu répandre d’affreux soupçons sur moi ? L’abbé avait-il été assez peu loyal pour le faire ? Je sus plus tard qu’Edmée, quoique ferme et généreuse dans ses instants lucides, m’avait accusé tout haut dans le délire.

Je m’approchai de son lit, et, en proie moi-même au délire, sans songer que mon aspect inattendu pouvait lui porter le coup de la mort, j’écartai les rideaux d’une main avide et je regardai Edmée. Jamais je n’ai vu une beauté plus surprenante. Ses grands yeux noirs avaient grandi