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répéta ces paroles, qui me faisaient toujours l’effet des mots dépourvus de sens qu’on entend dans les rêves :

— Vous ne l’avez pas fait exprès ; je le sais bien, moi. Non, vous ne l’avez pas fait exprès. C’est un malheur, un fusil qui part dans la main, par hasard.

— Allons, que veux-tu dire ? m’écriai-je impatienté ; quel fusil ? quel hasard ? pourquoi moi ?

— Ne savez-vous donc pas comment elle a été frappée, maître ?

Je passai mes mains sur ma tête comme pour y ramener l’énergie et la vie, et, ne pouvant m’expliquer l’événement mystérieux qui en brisait tous les ressorts, je me crus fou et je restai muet, consterné, craignant de laisser échapper une parole qui pût faire constater la perte de mes facultés.

Enfin peu à peu je ressaisis mes souvenirs ; je demandai du vin pour me fortifier, et à peine en eus-je bu quelques gouttes, que toutes les scènes de la fatale journée se déroulèrent comme par magie devant moi. Je me souvins même des paroles que j’avais entendu prononcer à Patience aussitôt après l’événement. Elles étaient comme gravées dans cette partie de la mémoire qui garde le son des mots, alors même que sommeille celle qui sert à en pénétrer le sens. Un instant encore je fus incertain ; je me demandai si mon fusil était parti entre mes mains au moment où je quittais Edmée. Je me rappelai clairement que je l’avais déchargé une heure auparavant sur une huppe dont Edmée avait envie de voir de près le plumage ; et puis, lorsque le coup qui l’avait frappée s’était fait entendre, mon fusil était dans mes mains, et je ne l’avais jeté par terre que quelques instants après : ce ne pouvait donc être cette arme qui fût partie en tombant. D’ailleurs, j’étais beaucoup trop loin d’Edmée dans ce moment pour que, même en supposant une fatalité incroyable, le coup l’atteignît. Enfin je n’avais