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j’écoutais machinalement le murmure avec une sorte de bien-être. Blaireau dormait à mes pieds, et son maître, debout contre un arbre, me regardait attentivement. Le soleil couchant glissait des lames d’or rougeâtre parmi les tiges élancées des jeunes frênes ; les fleurs sauvages semblaient me sourire ; les oiseaux chantaient mélodieusement. C’était un des plus beaux jours de l’année.

— Quelle magnifique soirée ! dis-je à Marcasse. Ce lieu est aussi beau qu’une forêt de l’Amérique. Eh bien, mon vieil ami, que fais-tu là ? Tu aurais dû m’éveiller plus tôt ; j’ai fait des rêves affreux.

Marcasse vint s’agenouiller auprès de moi ; deux ruisseaux de larmes coulaient sur ses joues sèches et bilieuses. Il y avait sur son visage, si impassible d’ordinaire, une expression ineffable de pitié, de chagrin et d’affection.

— Pauvre maître ! disait-il : égarement, maladie de tête, voilà tout. Grand malheur ! mais fidélité ne guérit pas. Éternellement avec vous, quand il faudrait mourir avec vous.

Ses larmes et ses paroles me remplirent de tristesse ; mais c’était le résultat d’un instinct sympathique aidé encore de l’affaiblissement de mes organes, car je ne me rappelais rien. Je me jetai dans ses bras en pleurant comme lui, et il me tint serré contre sa poitrine avec une effusion vraiment paternelle. Je pressentais bien que quelque affreux malheur pesait sur moi ; mais je craignais de savoir en quoi il consistait, et pour rien au monde je n’eusse voulu l’interroger.

Il me prit par le bras et m’emmena à travers la forêt. Je me laissai conduire comme un enfant, et puis je fus pris d’un nouvel accablement, et il fut forcé de me laisser encore assis pendant une demi-heure. Enfin il me releva et réussit à m’emmener à la Roche-Mauprat, où nous