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qu’il me sembla entendre un gémissement humain du côté de la tour Gazeau. Je m’élançai et puis je tombai sur mes genoux, comme foudroyé par mon émotion. Il me fallut quelques minutes pour triompher de ma faiblesse ; mon cerveau était plein d’images et de bruits lamentables, je ne distinguais plus l’illusion de la réalité ; en plein soleil je marchais à tâtons parmi les arbres. Tout à coup je me trouvai face à face avec l’abbé ; il était inquiet, il cherchait Edmée. Le chevalier, ayant été se placer avec sa voiture au passage du lancer et n’ayant pas vu sa fille parmi les chasseurs, avait été saisi de crainte. L’abbé s’était jeté à la hâte dans le bois, et bientôt, retrouvant la trace de nos chevaux, il venait s’informer de ce que nous étions devenus. Il avait entendu le coup de feu, mais sans en être effrayé. En me voyant pâle, les cheveux en désordre, l’air égaré, sans cheval et sans fusil (j’avais laissé tomber le mien à l’endroit où je m’étais à demi évanoui, et je n’avais pas songé à le relever), il fut aussi épouvanté que moi, et sans savoir, plus que moi-même, à quel propos.

— Edmée ! me dit-il, où est Edmée ?

Je lui répondis des paroles sans suite. Il fut si consterné de me voir ainsi, qu’il m’accusa d’un crime en lui-même, comme il me l’a plus tard avoué.

— Malheureux enfant ! me dit-il en me secouant fortement le bras pour me rappeler à moi-même, de la prudence, du calme, je vous en supplie !…

Je ne le comprenais pas, mais je l’entraînai vers l’endroit fatal. Ô spectacle ineffaçable ! Edmée était étendue par terre, roide et baignée dans son sang. Sa jument broutait l’herbe à quelques pas de là. Patience était debout auprès d’elle, les bras croisés sur sa poitrine, la face livide, et le cœur tellement gonflé qu’il lui fut impossible de répondre à l’abbé, qui l’interrogeait ; avec des sanglots et