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Debout devant Edmée, qui s’apprêtait à me laisser seul et à pied, furieux de la voir m’échapper pour la dernière fois, car, après l’offense que je venais de lui faire, jamais, sans doute, elle ne braverait le danger d’être seule avec moi, je la regardais d’une manière effrayante. J’étais pâle, mes poings se contractaient ; je n’avais qu’à vouloir, et la plus faible de mes étreintes l’eût arrachée de son cheval, terrassée, livrée à mes désirs. Un moment d’abandon à mes instincts farouches, et je pouvais assouvir, éteindre, par la possession d’un instant le feu qui me dévorait depuis sept années ! Edmée n’a jamais su quel péril son honneur a couru dans cette minute d’angoisse ; j’en garde un éternel remords ; mais Dieu seul en sera juge, car je triomphai, et cette pensée de mal fut la dernière de ma vie. À cette pensée, d’ailleurs, se borna tout mon crime ; le reste fut l’ouvrage de la fatalité.

Saisi d’effroi, je tournai brusquement le dos, et, tordant mes mains avec désespoir, je m’enfuis par le sentier qui m’avait amené, sans savoir où j’allais, mais comprenant qu’il fallait me soustraire à ces tentations dangereuses. Le jour était brûlant, l’odeur des bois enivrante ; leur aspect me ramenait au sentiment de ma vie sauvage il fallait fuir ou succomber. Edmée m’ordonnait, d’un geste impérieux, de m’éloigner de sa présence. L’idée de tout autre danger que celui qu’elle courait avec moi ne pouvait, en cet instant, se présenter à ma pensée ni à la sienne ; je m’enfonçai dans le bois. Je n’avais pas franchi l’espace de trente pas, qu’un coup de feu partit du lieu où je laissais Edmée. Je m’arrêtai glacé d’épouvante sans savoir pourquoi ; car, au milieu d’une battue, un coup de fusil n’était pas chose étrange ; mais j’avais l’âme si lugubre, que rien ne pouvait me sembler indifférent. J’allais retourner sur mes pas et rejoindre Edmée, au risque de l’offenser encore, lors-