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message particulier, eut une entrevue avec le trappiste. À sa grande surprise, il trouva que l’ennemi avait changé de tactique. Il refusait avec indignation toute espèce de secours, se retranchant derrière son vœu de pauvreté et d’humilité, et blâmant avec emphase son cher hôte le prieur d’avoir osé proposer, sans son aveu, l’échange des biens éternels contre les biens périssables. Il refusait de s’expliquer sur le reste et se renfermait dans des réponses ambiguës et boursouflées ; Dieu l’inspirerait, disait-il, et il comptait, à la prochaine fête de la Vierge, à l’heure auguste et sublime de la sainte communion, entendre la voix de Jésus parler à son cœur et lui dicter la conduite qu’il aurait à tenir. L’abbé dut craindre de montrer de l’inquiétude en insistant pour percer ce saint mystère, et il vint me rendre cette réponse, qui était moins faite que toute autre pour me rassurer.

Cependant les jours et les semaines s’écoulèrent sans que le trappiste donnât le moindre signe de volonté sur quoi que ce soit. Il ne reparut ni au château ni dans les environs, et se tint tellement enfermé aux Carmes que peu de personnes virent son visage. Cependant on sut bientôt, et le prieur mit grand soin à en répandre la nouvelle, que Jean de Mauprat, converti à la plus ardente et à la plus exemplaire piété, était de passage, comme pénitent de la Trappe, au couvent des Carmes. Chaque matin on fit circuler un nouveau trait de vertu, un nouvel acte d’austérité de ce saint personnage. Les dévotes, avides du merveilleux, voulurent le voir, et lui portèrent mille petits présents qu’il refusa avec obstination. Quelquefois il se cachait si bien qu’on le disait parti pour la Trappe ; mais, au moment où nous nous flattions d’en être débarrassés, nous apprenions qu’il venait de s’infliger, dans la cendre et sous le cilice, des mortifications épouvantables ; ou bien il avait