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rieux de se lever et de parler convenablement. Mon père, courroucé, lui commanda de se taire et de se retirer ; et, comme en cet instant il s’écriait : « Non ! vous me laisserez embrasser vos genoux ! » je le repoussai pour l’empêcher de toucher à mon père. Je frémis d’horreur en songeant que mon gant a effleuré ce froc immonde. Il se retourna vers moi, et, quoiqu’il affectât toujours le repentir et l’humilité, je vis la colère briller dans ses yeux. Mon père fit un violent effort pour se lever, et il se leva en effet comme par miracle ; mais aussitôt il retomba évanoui sur son siège ; des pas se firent entendre dans le billard, et le moine sortit par la porte vitrée avec la rapidité de l’éclair. C’est alors que vous m’avez trouvée demi-morte et glacée d’épouvante aux pieds de mon père anéanti.

— L’abominable lâche n’a pas perdu de temps, vous le voyez, l’abbé ! m’écriai-je ; il voulait effrayer mon oncle et sa fille : il y a réussi ; mais il a compté sans moi, et je jure que, fallût-il le traiter à la mode de la Roche-Mauprat… s’il ose jamais se présenter ici de nouveau…

— Taisez-vous, Bernard, dit Edmée, vous me faites frémir ; parlez sagement, et dites-moi tout ce que cela signifie.

Quand je l’eus mise au fait de ce qui était arrivé à l’abbé et à moi, elle nous blâma de ne pas l’avoir prévenue.

— Si j’avais su à quoi je devais m’attendre, nous dit-elle, je n’aurais pas été effrayée, et j’eusse pris des précautions pour ne jamais rester seule à la maison avec mon père et Saint-Jean, qui n’est guère plus ingambe. Maintenant, je ne crains plus rien, et je me tiendrai sur mes gardes. Mais le plus sûr, mon cher Bernard, est d’éviter tout contact avec cet homme odieux, et de lui faire l’aumône aussi largement que possible pour nous en débarras-