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dans cette demeure silencieuse. Cette sécurité éternelle que rien n’avait jamais troublée dans l’enceinte des vieux lambris sacrés, la caducité nonchalante des serviteurs, les portes toujours ouvertes, à tel point que les mendiants entraient parfois dans le salon sans rencontrer personne ou sans causer d’ombrage ; toute cette atmosphère de calme, de confiance et d’isolement contrastait avec les pensées de lutte et les soucis dont le retour de Jean et les menaces du carme avaient rempli mon esprit durant quelques heures. Je doublai le pas, et, saisi d’un tremblement involontaire, je traversai la salle de billard. Il me sembla, en cet instant, voir passer sous les fenêtres du rez-de-chaussée une ombre noire qui se glissait parmi les jasmins, et qui disparut dans le crépuscule. Je poussai vivement la porte du salon et m’arrêtai. Tout était silencieux et immobile. J’allais me retirer et chercher Edmée dans la chambre de son père, lorsque je crus voir remuer quelque chose de blanc près de la cheminée où le chevalier se tenait toujours.

— Edmée, êtes-vous ici ? m’écriai-je.

Rien ne me répondit. Mon front se couvrit d’une sueur froide et mes genoux tremblèrent. Honteux d’une faiblesse si étrange, je m’élançai vers la cheminée en répétant avec angoisse le nom d’Edmée.

— Est-ce vous enfin Bernard ? me répondit-elle d’une voix tremblante.

Je la saisis dans mes bras ; elle était agenouillée auprès du fauteuil de son père, et pressait contre ses lèvres les mains glacées du vieillard.

— Grand Dieu ! m’écriai-je en distinguant, à la faible clarté qui régnait dans l’appartement, la face livide et roidie du chevalier, notre père a-t-il cessé de vivre ?…

— Peut-être, me dit-elle avec un organe étouffé ; peut-être évanoui seulement, s’il plaît à Dieu ! De la lumière, au