Page:Sand - Mauprat.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

craindre un lâche, parce qu’il nous frappe par derrière au moment où nous l’attendons en face. Si Jean Mauprat n’était pas trappiste, si les papiers qu’il m’a montrés avaient menti, le prieur des carmes est trop subtil et trop prudent pour s’y être laissé prendre. Jamais cet homme-là n’embrassera la cause d’un séculier, et jamais il ne prendra un séculier pour un des siens. Au reste, il faut aller aux informations, et je vais écrire sur-le-champ au supérieur de la Trappe ; mais je suis certain qu’elles confirmeront ce que je sais déjà. Il est même possible que Jean de Mauprat soit sincèrement dévot. Rien ne sied mieux à un pareil caractère que certaines nuances de l’esprit catholique. L’inquisition est l’âme de l’Église, et l’inquisition doit sourire à Jean de Mauprat. Je crois volontiers qu’il se livrerait au glaive séculier rien que pour le plaisir de vous perdre avec lui, et que l’ambition de fonder un monastère avec vos deniers est une inspiration subite dont tout l’honneur appartient au prieur des Carmes…

— Cela n’est guère probable, mon cher abbé, lui dis-je. D’ailleurs, à quoi nous mèneront ces commentaires ? Agissons. Gardons à vue le chevalier, pour que l’animal immonde ne vienne pas empoisonner la sérénité de ses derniers jours. Écrivons à la Trappe, offrons une pension au misérable, et voyons-le venir, tout en épiant avec soin ses moindres démarches. Mon sergent Marcasse est un admirable limier. Mettons-le sur la piste, et, s’il peut parvenir à nous rapporter en langue vulgaire ce qu’il aura vu et entendu, nous saurons bientôt ce qui se passe dans tout le pays.

En devisant ainsi, nous arrivâmes au château à la chute du jour. Je ne sais quelle inquiétude tendre et puérile, comme il en vient aux mères lorsqu’elles s’éloignent un instant de leur progéniture, s’empara de moi en entrant