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et délicat, qui s’élance du sein de la roche moussue. J’allais m’asseoir sur la pierre qui forme un banc naturel à côté, lorsque je vis la place occupée par un bon religieux dont le capuchon de bure cachait à demi la tête pâle et flétrie. Il me parut très intimidé de ma rencontre ; je le rassurai de mon mieux en lui disant que mon intention n’était pas de le déranger, mais d’approcher seulement mes lèvres de la rigole d’écorce que les bûcherons ont adaptée à la roche pour boire plus facilement.

» — Ô saint ecclésiastique ! me dit-il du ton le plus humble, que n’êtes-vous le prophète dont la verge frappait aux sources de la grâce, et pourquoi mon âme, semblable à ce rocher, ne peut-elle donner cours à un ruisseau de larmes ?

« Frappé de la manière dont ce moine s’exprimait, de son air triste, de son attitude rêveuse, en ce lieu poétique où j’ai souvent rêvé l’entretien de la Samaritaine avec le Sauveur, je me laissai aller à causer de plus en plus sympathiquement. J’appris de ce religieux qu’il était trappiste et qu’il était en tournée pour accomplir une pénitence.

» — Ne me demandez ni mon nom ni mon pays, dit-il. J’appartiens à une illustre famille que je ferais rougir en lui rappelant que j’existe ; d’ailleurs, en entrant à la Trappe, nous abjurons tout orgueil du passé, nous nous faisons semblables à des enfants naissants ; nous mourons au monde pour revivre en Jésus-Christ. Mais soyez sûr que vous voyez en moi un des exemples les plus frappants des miracles de la grâce, et, si je pouvais vous faire le récit de ma vie religieuse, de mes terreurs, de mes remords, de mes expiations, vous en seriez certainement touché. Mais à quoi me serviront la compassion et l’indulgence des hommes, si la miséricorde de Dieu ne daigne m’absoudre ? »

— Vous savez, continua l’abbé, que je n’aime pas les moines, que je me défie de leur humilité, que j’ai horreur