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de la journée ; je me laissai donc aller à parler d’Edmée, non de manière à mériter de sa part l’ombre d’un reproche si elle eût entendu mes paroles, et cependant plus que je n’aurais dû me le permettre avec un homme qui n’était encore que mon subalterne et non mon ami, comme il le devint plus tard. Je ne sais pas positivement ce que je lui dis de mes chagrins, de mes espérances et de mes inquiétudes ; toutefois ces confidences eurent un effet terrible, ainsi que vous le verrez bientôt.

Nous nous endormîmes tout en causant, Blaireau sur les pieds de son maître, l’épée en travers à côté du chien sur les genoux de l’hidalgo, la lumière entre nous deux, mes pistolets au bout de mon bras, mon couteau de chasse sous mon oreiller et les verrous tirés. Rien ne troubla notre repos ; et, quand le soleil nous éveilla, les coqs chantaient joyeusement dans la cour, et les boirons échangeaient des facéties rustiques en liant[1] leurs bœufs sous nos fenêtres.

— C’est égal, il y a quelque chose là-dessous !

Telle fut la première parole de Marcasse en ouvrant les yeux et en reprenant la conversation où il l’avait laissée la veille.

— As-tu vu ou entendu quelque chose cette nuit ? lui dis-je.

— Rien du tout, répondit-il ; mais c’est égal, Blaireau n’a pas bien dormi, mon épée est tombée par terre ; et puis rien de ce qui s’est passé ici n’est expliqué.

— L’explique qui voudra, répondis-je ; je ne m’en occuperai certainement pas.

— Tort, tort, vous avez tort !

— Cela se peut, mon bon sergent ; mais je n’aime pas du

  1. Les bouviers lient le joug avec des courroies aux cornes d’une paire de bœufs de travail.