que le chevalier lui avait confiées autrefois, et dont il aimait à boire un verre ou deux lorsqu’il mettait le pied à l’étrier. Pour récompense, nous invitâmes le digne homme à souper avec nous, pour causer d’affaires le moins ennuyeusement possible.
— À la bonne heure, nous dit-il, ce sera donc comme autrefois, les manants mangeaient à la table des seigneurs de la Roche-Mauprat ; vous faites de même, monsieur Bernard, et c’est bien.
— Oui monsieur, lui répondis-je très froidement ; mais je le fais avec ceux qui me doivent de l’argent, et non avec ceux à qui j’en dois.
Cette réponse et le mot de monsieur l’intimidèrent tellement qu’il fit beaucoup de façons pour se mettre à table ; mais j’insistai, voulant sur-le-champ lui donner la mesure de mon caractère. Je le traitais comme un homme que j’élevais à moi, non comme un homme vers qui je voulais descendre. Je le forçai d’être chaste dans ses plaisanteries, et je lui permis d’être expansif et facétieux dans les limites d’une honnête gaieté. C’était un homme jovial et franc. Je l’examinais avec attention pour voir s’il n’aurait pas quelque accointance avec le fantôme qui laissait traîner son manteau sur les lits ; mais cela n’était aucunement probable, et il avait au fond tant d’aversion pour les coupe-jarrets que, sans son respect pour ma parenté, il les eût de bon cœur habillés, en ma présence, comme ils méritaient de l’être. Mais je ne pus souffrir aucune liberté de sa part sur ce sujet, et je l’engageai à me rendre compte de mes affaires ; ce qu’il fit avec intelligence, exactitude et loyauté.
Quand il se retira, je m’aperçus que le madère lui avait fait beaucoup d’effet, car ses jambes étaient avinées et s’accrochaient à tous les meubles ; néanmoins il avait eu assez d’empire sur son cerveau pour raisonner juste. J’ai