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que ce que je voyais était un être vivant, un homme de chair et d’os ; il est donc incroyable que je me sentisse glacé d’une terreur aussi puérile. Mais je le nierais en vain, et je n’ai jamais pu ensuite me l’expliquer à moi-même, j’étais enchaîné par la peur. Son regard me pétrifiait, ma langue était paralysée. Blaireau s’élança sur lui ; alors il agita les plis de son lugubre vêtement, semblable à un linceul souillé de l’humidité du sépulcre, et je m’évanouis.

Lorsque je revins à moi-même, Marcasse était auprès de moi et me relevait avec inquiétude. J’étais étendu à terre et roide comme un cadavre. J’eus beaucoup de peine à rassembler mes idées ; mais, aussitôt que je pus me tenir sur mes jambes, je saisis Marcasse par le corps, et je l’entraînai précipitamment hors de la chambre maudite. Je faillis tomber plusieurs fois en descendant l’escalier à vis, et ce ne fut qu’en respirant dans la cour l’air du soir et la saine odeur des étables que je recouvrai l’usage de ma raison.

Je n’hésitai pas à attribuer ce qui venait de se passer à une hallucination de mon cerveau. J’avais fait mes preuves de courage à la guerre, en présence de mon brave sergent ; je ne rougissais pas devant lui d’avouer la vérité. Je répondis sincèrement à sa question, et je lui peignis mon horrible vision avec de tels détails, qu’il en fut frappé à son tour comme d’une chose réelle, et répéta plusieurs fois d’un air pensif, en se promenant avec moi dans la cour :

— Singulier ! singulier !… étonnant !

— Non, cela n’est pas étonnant, lui dis-je quand je me sentis tout à fait remis. J’ai éprouvé la sensation la plus douloureuse en venant ici ; depuis plusieurs jours, je luttais pour surmonter la répugnance que j’éprouvais à revoir