persés, se retira dans son castel, en fit lever le pont et s’y renferma avec dix ou douze manants, ses valets, tous braconniers ou déserteurs, qui avaient intérêt comme lui à se retirer du monde (c’était son expression) et à se mettre en sûreté derrière de bonnes murailles. Un énorme faisceau d’armes de chasse, canardières, carabines, escopettes, pieux et coutelas, fut dressé sur la plate-forme, et il fut enjoint au portier de ne jamais laisser approcher plus de deux personnes en deçà de la portée de son fusil.
Depuis ce jour, Mauprat et ses enfants rompirent avec les lois civiles, comme ils avaient rompu avec les lois morales. Ils s’organisèrent en bande d’aventuriers. Tandis que leurs amés et féaux braconniers pourvoyaient la maison de gibier, ils levaient des taxes illégales sur les métairies environnantes. Sans être lâches (et tant s’en faut), nos paysans, vous le savez, sont doux et timides par nonchalance, et par méfiance de la loi, que dans aucun temps ils n’ont comprise, et qu’aujourd’hui encore ils connaissent à peine. Aucune province de France n’a conservé plus de vieilles traditions et souffert plus longtemps les abus de la féodalité. Nulle part ailleurs, peut-être, on n’a maintenu, comme on l’a fait chez nous jusqu’ici, le titre de seigneur de la commune à certains châtelains, et nulle part il n’est aussi facile d’épouvanter le peuple par la nouvelle de quelque fait politique absurde et impossible. Au temps dont je vous parle, les Mauprat, seule famille puissante dans un rayon de campagnes éloignées des villes et privées de communications avec l’extérieur, n’eurent pas de peine à persuader à leurs vassaux que le servage allait être rétabli et que les récalcitrants seraient malmenés. Les paysans hésitèrent, écoutèrent avec inquiétude quelques-uns d’entre eux qui prêchaient l’indépendance, puis réfléchirent et prirent le parti de se soumettre. Les Mauprat ne