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Mon grand-père était dès lors, avec ses huit fils, le dernier débris que notre province eût conservé de cette race de petits tyrans féodaux dont la France avait été couverte et infestée pendant tant de siècles. La civilisation, qui marchait rapidement vers la grande convulsion révolutionnaire, effaçait de plus en plus ces exactions et ces brigandages organisés. Les lumières de l’éducation, une sorte de bon goût, reflet lointain d’une cour galante, et peut-être le pressentiment d’un réveil prochain et terrible du peuple, pénétraient dans les châteaux et jusque dans le manoir à demi rustique des gentillâtres. Même dans nos provinces du centre, les plus arriérées par leur situation, le sentiment de l’équité sociale l’emportait déjà sur la coutume barbare. Plus d’un mauvais garnement avait été obligé de s’amender en dépit de ses privilèges, et, en certains endroits, les paysans, poussés à bout, s’étaient débarrassés de leur seigneur, sans que les tribunaux eussent songé à s’emparer de l’affaire et sans que les parents eussent osé demander vengeance.

Malgré cette disposition des esprits, mon grand-père s’était longtemps maintenu dans le pays sans éprouver de résistance. Mais, ayant eu une nombreuse famille à élever, laquelle était pourvue comme lui de bon nombre de vices, il se vit enfin tourmenté et obsédé de créanciers que n’effarouchaient plus les menaces, et qui menaçaient eux-mêmes de lui faire un mauvais parti. Il fallut songer à éviter les recors d’un côté, et, de l’autre, les querelles qui naissaient à chaque instant, et dans lesquelles, malgré leur nombre, leur bon accord et leur force herculéenne, les Mauprat ne brillaient plus, toute la population se joignant à ceux qui les insultaient et se mettant en devoir de les lapider. Alors Tristan, ralliant sa lignée autour de lui, comme le sanglier rassemble, après la chasse, ses marcassins dis-