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sophes. Il faudrait que les personnes qui font comme vous beaucoup de charités particulières les fissent sans consulter la fantaisie de celui qui demande, mais bien après avoir reconnu ses véritables besoins.

« Edmée m’objecta que cette connaissance-là lui serait impossible, qu’il y faudrait passer toutes les journées, et abandonner M. le chevalier, qui se fait vieux, et qui ne peut plus lire ni rien faire sans les yeux et la tête de sa fille. L’abbé aimait trop à s’instruire pour son compte dans les livres des savants, pour avoir du temps de reste.

« — Voilà à quoi sert toute la science de la vertu, lui dis-je, elle fait qu’on oublie d’être vertueux.

« — Tu as bien raison, repartit Edmée ; mais comment faire ?

« Je promis d’y songer, et voici ce que j’imaginai. Je me promenai tous les jours du côté des terres, au lieu de me promener comme d’habitude du côté des bois. Cela me coûta beaucoup ; j’aime à être seul, et partout je fuyais l’homme depuis tant d’années, que je n’en sais plus le compte. Enfin, c’était un devoir, je le fis. J’approchai des maisons, m’enquis d’abord par-dessus la haie et puis jusque dans l’intérieur des habitations, et comme par manière de conversation, de ce que je voulais savoir. D’abord on me reçut comme un chien perdu en temps de sécheresse, et je vis, avec un chagrin que j’eus bien de la peine à cacher, la haine et la méfiance sur toutes ces figures. Je n’avais pas voulu vivre avec les hommes, mais je les aimais ; je les savais plus malheureux que méchants ; j’avais passé tout mon temps à m’affliger de leurs maux, à m’indigner contre ceux qui les causaient ; et, quand pour la première fois j’entrevoyais la possibilité de faire quelque chose pour quelques-uns, ceux-là fermaient bien vite leur porte du plus loin qu’ils m’apercevaient, et leurs enfants, de beaux en-