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ans, et, au bout du compte, il faut vendre chènevière et mobilier, parce que le créancier, qui est toujours un d’entre eux, veut son remboursement ou de tels intérêts qu’on ne peut y suffire. Tout s’en va, le fonds emporte le fonds ; les intérêts ont emporté le revenu ; on est vieux, on ne peut plus travailler. Les enfants vous abandonnent parce que vous les avez mal élevés et qu’ils ont les mêmes passions et les mêmes vanités que vous ; il vous faut prendre une besace et aller de porte en porte demander du pain, parce que vous êtes habitué au pain et ne sauriez sans mourir manger des racines, comme le sorcier Patience, rebut de la nature que tout le monde hait et méprise parce qu’il ne s’est pas fait mendiant.

« Le mendiant, au reste, n’est guère plus malheureux que le journalier, moins peut-être. Il n’a plus ni bonne ni sotte fierté, il ne souffre plus. Les gens du pays sont bons ; aucun besacier ne manque d’un gîte et d’un souper en faisant sa ronde, les paysans lui chargent le dos de morceaux de pain, si bien qu’il peut nourrir volaille et pourceaux dans la petite cahute où il laisse un enfant et une vieille parente pour soigner son bétail. Il y revient toutes les semaines passer deux ou trois jours à ne rien faire et à compter les pièces de deux sous qu’il a reçues. Cette pauvre monnaie lui sert souvent à satisfaire les besoins superflus que l’oisiveté engendre. Un métayer prend bien rarement du tabac ; beaucoup de mendiants ne peuvent s’en passer et en demandent avec plus d’avidité que du pain. Ainsi le mendiant n’est pas plus à plaindre que le travailleur ; mais il est corrompu et débauché quand il n’est pas méchant et féroce, ce qui, du reste, est assez rare.

« — Voici donc ce qu’il faudrait faire, disais-je à Edmée, et l’abbé m’a dit que cela était l’avis de vos philo-