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ne me faisait jamais part des événements qui pouvaient et qui devaient survenir dans la famille. Chacun m’entretenait de soi-même, et jamais ils ne me disaient un mot les uns des autres : c’est tout au plus si on me parlait des attaques de goutte du chevalier. Il y avait comme une convention passée entre chacun des trois de ne me point dire les occupations et la situation d’esprit des deux autres.

— Éclaire-moi et rassure-moi, si tu peux, à cet égard, dis-je à Arthur. Il y a des moments où je m’imagine qu’Edmée est mariée, et qu’on est convenu de ne me l’apprendre qu’à mon retour ; car enfin qui l’en empêche ? Est-il probable qu’elle m’aime assez pour vivre dans la solitude par amour pour moi, tandis que cet amour, soumis aux principes d’une froide raison et d’une austère conscience, se résigne à voir mon absence se prolonger indéfiniment avec la guerre ? J’ai des devoirs à remplir ici, sans nul doute ; l’honneur exige que je défende mon drapeau jusqu’au jour du triomphe ou de la défaite irréparable de la cause que je sers ; mais je sens que je préfère Edmée à ces vains honneurs, et que, pour la voir une heure plus tôt, j’abandonnerais mon nom à la risée et aux malédictions de l’univers.

— Cette dernière pensée vous est suggérée, répondit Arthur en souriant, par la violence de votre passion ; mais vous n’agiriez point comme vous dites, l’occasion se présentant. Quand nous sommes aux prises avec une seule de nos facultés, nous croyons les autres anéanties ; mais qu’un choc extérieur les réveille, et nous voyons bien que notre âme vit par plusieurs points à la fois. Vous n’êtes pas insensible à la gloire, Bernard, et, si Edmée vous invitait à y renoncer, vous vous apercevriez que vous y teniez plus que vous ne pensiez ; vous avez d’ardentes convictions républicaines ; et c’est Edmée qui vous les a inspirées la pre-