Page:Sand - Mauprat.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.

repos d’Edmée à mon bonheur, et qu’il éprouvait une joie véritable de mon départ. Cependant il m’aimait, et cette amitié s’exprimait d’une manière touchante à travers la satisfaction cruelle qui s’y mêlait. Il enviait mon sort. Il était plein d’ardeur pour la cause de l’indépendance et prétendait avoir été tenté plus d’une fois de jeter le froc aux orties et de prendre le mousquet ; mais c’était de sa part une puérile affectation. Son naturel doux et timide resta toujours prêtre sous le manteau de la philosophie.

Un billet étroit et sans suscription se trouvait comme glissé après coup entre ces deux lettres. Je comprenais bien qu’il était de la seule personne qui m’intéressât réellement dans le monde, mais je n’avais pas le courage de l’ouvrir. Je marchais sur le sable au bord de la mer, retournant ce mince papier dans ma main tremblante, et craignant de perdre, en le lisant, l’espèce de calme désespéré que j’avais trouvé dans mon courage. Je craignais surtout des remerciements et l’expression d’une joie enthousiaste, derrière laquelle j’eusse aperçu un autre amour satisfait.

— Que peut-elle m’écrire ? disais-je ; pourquoi m’écrit-elle ? Je ne veux pas de sa pitié ; encore moins de sa reconnaissance.

J’étais tenté de jeter ce fatal billet à la mer. Une fois même, je l’élevai au-dessus des flots ; mais je le serrai aussitôt contre mon cœur, et l’y laissai quelques instants caché, comme si j’eusse cru à cette vue occulte des partisans du magnétisme, qui prétendent lire avec les organes du sentiment et de la pensée aussi bien qu’avec les yeux.

Enfin, je me décidai à rompre le cachet, et je lus ces mots :

« Tu as bien agi, Bernard ; mais je ne te remercie pas,